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On exige encore : l’histoire des droits et de l’activisme 2SLGBTQ+* à Ottawa – 1re partie

Mercredi 25 août 2021

Dans le cadre des célébrations de la Fierté dans la capitale 2021, la BPO accueille le blogueur Glenn Crawford. Voici la première partie de sa série de billets de blogue « On exige encore : l’histoire des droits et de l’activisme 2SLGBTQ+* à Ottawa ».

Avant la libération : une existence cachée et la purge

Le 28 août 1971, un petit groupe composé de 40 à 100 personnes se réunissait sur la colline du Parlement pour la toute première manifestation canadienne pour les droits des personnes queers, événement maintenant connu comme la manifestation We Demand. À quoi ressemblait la vie des personnes 2SLGBTQ+ au Canada avant cette date historique, et que revendique cette communauté émergente?

Si de nombreuses cultures autochtones acceptaient différents types d’orientations sexuelles et d’expressions de genre, la colonisation européenne apporte avec elle hostilité et préjugés à l’égard des personnes trans et homosexuelles. L’homosexualité était illégale au Canada jusqu’à la fin des années 1960, ce qui signifie que les personnes alléguées ou trouvées homosexuelles étaient passibles d’une peine d’emprisonnement sévère. De plus, les gens que l’on « sort du placard » contre leur gré peuvent perdre leur emploi, leur famille, leurs amis et leur logement, et courent le risque d’être attaqués ou même assassinés.

Les femmes queers qui savent se faire discrètes réussissent généralement mieux que les hommes queers à rester invisibles et à être acceptées par la société. En effet, nombreux sont ceux qui croient que les relations sexuelles entre femmes sont impossibles ou ne constituent pas véritablement une activité sexuelle. Charlotte Whitton, la première mairesse d’Ottawa (1951-1956; 1961-1964), vit avec sa partenaire Margaret Grier jusqu’au décès de celle-ci, en 1947. Elle réussit néanmoins à grimper les échelons de la politique municipale, fait remarquable dans une société encore très hostile et pleine de préjugés à l’égard des femmes et des personnes queers.

Charlotte Whitton. Photo : Archives de la Ville d’Ottawa, CA006667

La décriminalisation de certaines activités homosexuelles a été défendue par le ministre de la Justice de l’époque, Pierre Elliott Trudeau, à la suite de la célèbre décision de la Cour suprême du Canada de maintenir le verdict de culpabilité rendu contre Everett George Klippert en 1967. Ce dernier, reconnu coupable d’avoir eu des relations homosexuelles consensuelles, est déclaré « délinquant sexuel dangereux ». Cette affaire mène directement à la décriminalisation, en 1969, des actes homosexuels consensuels ayant lieu en privé. Klippert demeure néanmoins injustement emprisonné jusqu’en 1971.

Vu l’oppression provenant de toutes les couches de la société…la haine de soi, le déni et le suicide sont fréquents. Les personnes queers choisissent souvent de se marier et de renier leur orientation sexuelle ou leur identité de genre simplement pour être acceptées. Les rares lieux où il est possible de se réunir, comme les bars gais clandestins – habituellement situés dans le marché By, autour des rues Elgin ou Bank, ou à Hull de l’autre côté de la rivière –, se trouvent souvent dans des quartiers durs et dangereux et sont gérés par la mafia.

Les personnes 2SLGBTQ+ vivant à Ottawa tombent aussi sous le coup d’une autre calamité sans pareille : la purge. Durant la Guerre froide, la méfiance à l’égard des personnes homosexuelles et trans est élevée. En effet, on croit à tort que celles-ci pourraient être victimes de chantage de la part des communistes, qui leur demanderaient de divulguer des secrets d’État sous peine d’être démasquées. Ironiquement, c’est cette présomption erronée qui mène à du chantage de la part du gouvernement et de la GRC, ceux-ci arrachant des aveux aux personnes soupçonnées d’homosexualité et les obligeant à dénoncer leurs pareils. Parmi ces personnes, on retrouve Paul Fournier, mieux connu sous le nom de Peaches Latour, qui est la plus célèbre drag queen d’Ottawa à l’époque. Paul Fournier est interrogé par la GRC à la fin des années 1960 : on lui montre des dizaines d’albums photo contenant principalement des clichés d’hommes soupçonnés d’homosexualité, mais il refuse de trahir sa communauté et ses amis en dévoilant leur identité.

La GRC met en place un autre moyen pour essayer de dénicher les homosexuels employés dans la fonction publique : une invention connue sous le nom grotesque de « Fruit Machine ». Élaborée dans les années 1960 par Frank Wake, un professeur à l’Université Carleton, cette machine mesure la dilatation des pupilles d’un sujet à qui on montre diverses photos, allant de scènes ordinaires à des images pornographiques. Or, le « fondement scientifique » sur lequel repose la machine est boiteux, puisque les pupilles se dilatent ou se contractent naturellement lorsque la luminosité change, comme lors de la projection d’images. L’invention est donc rapidement abandonnée pour cause d’inefficacité.

Exemple de machine similaire à la « Fruit Machine », exposée au Musée canadien de la guerre. Photo : Glenn Crawford

Cependant, la décriminalisation contribue peu à combattre les violations des droits de la personne et les préjugés de la société à l’égard des personnes queers. En effet, la purge se poursuit jusqu’assez loin dans les années 1990. En 1975, Warren Zufelt se suicide lorsque son nom, son adresse, son numéro de téléphone et son lieu de travail sont publiés dans plusieurs journaux locaux, à la suite d’un scandale entourant un service d’escortes. Des mères perdent la garde de leurs enfants au tribunal de divorce quand elles sont accusées d’être lesbiennes, et ne peuvent plus avoir de contact avec eux. Il reste clairement beaucoup de travail à faire. Inspirés par les mouvements pour les droits civiques et les droits des femmes, de même que par les émeutes de Stonewall qui ont lieu aux États-Unis en 1969, de petits organismes militants de la communauté 2SLGBTQ+ commencent à se former dans plusieurs villes partout au pays.

Liens

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* Le sigle 2SLGBTQ+ désigne les personnes bispirituelles, lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres, queer et autres, de même que les alliés. C’est l’un des nombreux sigles acceptés pour définir la « communauté » queer, bien que soient couramment utilisés plusieurs autres sigles contenant plus ou moins de lettres, parfois dans un ordre différent. Bien que la communauté s’efforce généralement d’utiliser un terme inclusif, d’autres groupes de notre communauté, comme les personnes non binaires, intersexuelles et asexuées, par exemple, ne sont pas toujours incluses, puisque le sigle devient de plus en plus long et complexe et à mesure qu’il grossit. Même si nous l’utilisons dans ce blogue, nous sommes conscients qu’aucun sigle n’est complètement inclusif, tout comme le terme générique queer (qui n’est lui-même pas adopté par l’ensemble de la communauté), que nous utilisons pour définir notre communauté.

Biographie

Ayant vécu à Ottawa pendant plus de 40 ans et nouvellement résident de Gatineau, Glenn Crawford est fier d’habiter dans la région de la capitale nationale. Il s’implique activement dans la communauté queer depuis plus de 15 ans. Il a présidé le Comité du Village de 2006 à 2012, années durant lesquelles ont notamment été installés sur la rue Bank des panneaux désignant officiellement le village queer d’Ottawa. Glenn a été élu grand maréchal de la Fierté dans la capitale en 2010 et a reçu le Hero Award en tant qu’activiste communautaire de l’année en 2007. Depuis 2016, il fait de la recherche et du développement pour le Projet de legs du village de la ZAC de la rue Bank, en mettant au point un site Web [www.villagelegacy.ca] et une application mobile sur l’histoire du mouvement 2SLGBTQ+ à Ottawa. Concepteur Web et graphique à son compte depuis plus de 18 ans, Glenn a également créé des œuvres d’art public pour le projet, dont les 40 bannières rendant hommage à des leaders communautaires qui ont été dévoilées en 2018.